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vendredi 20 juillet 2018

Spinoza et les neurosciences / Spinoza and neurosciences


The biologist and physician Henri Atlan, who had published in his time, a much noticed essay "Between the crystal and the smoke", has just issued a book on Spinoza and the current sciences of cognition. The publication of this book represents an excellent opportunity to revisit past and current conceptions of the relationship between body and mind. For a long time it was thought that the mind could be represented by a soul distinct from the body, the soul and the body being considered as two disjoint entities. The soul was supposed to control the body, but the link between these two entities remained mysterious. Such a conception prevailed until the end of the Middle Ages and the beginning of the Renaissance. The interaction between the soul and the body, however, remained problematic. The way in which the immaterial soul can control the body had been the subject of a question put to Descartes by the Princess Elizabeth of Bohemia in 1643. For Descartes, the soul is the seat of thought. He placed it in the pineal gland. The soul identifies with the person, as a source of thoughts and feelings. The body is only a vehicle, a machine that allows the human being to survive in his environment. The animals being devoid of soul, are reduced to the state of machines and Descartes does not recognize them thoughts, feelings, or even sensations. Advances in science have highlighted the role of the brain as the seat of reflection. Neuroscience has benefited from new technologies, including medical imaging, which has made it possible to locate mental functions in different parts of the brain. Descartes has been criticized for making the soul a duplicate of the human being. a homunculus that would be housed in the brain and that would perceive all the messages that it receives, thus creating the logical risk of a regression to infinity. Today, the brain is generally perceived as the sole seat of thought. The notion of an immaterial soul then becomes obsolete. At the same time, the existence of any form of "spirit" that is different from matter is called into question. The eminent neuroscientist Antonio Damasio denounced the conception of a separate body and soul, calling it a "Descartes' error". Against Descartes, Damasio wants to give reason to Spinoza, who has adopted a monism of body and mind. Henri Atlan resumes his arguments, not hesitating to affirm that the philosophy of Spinoza brings to the current sciences a more important contribution than those of the other great philosophers of the same period, Descartes, Pascal, Leibnitz as well as other more recent and even contemporaries. But he blames Damasio for interpreting Spinoza's philosophy in terms of materialist monism, which poses problems of coherence in his interpretation of the links between body and mind. In addition, according to Henri Atlan, this materialist position departs from the position defended by Spinoza, who claimed the existence of two attributes of Nature, none of which could fully identify with the other, represented in the human being. human respectively by body and mind. It is this way of escaping a reductionism that is either materialistic or idealistic, which, according to Henri Atlan, constitutes the whole interest of Spinoza's position. However, his analysis does not escape, itself, contradictions. Indeed, like many current scientists, Henri Atlan adopts a physicalist position, consisting in admitting that the functioning of the mind is governed by the laws of the current physics. In this case, is not the attribute "spirit" a mere illusion?
In fact, it is possible to interpret Spinoza's monism in two different ways. Following the first, it would be a monism foreshadowing the materialistic monism that Damasio defends. In this case, it is unclear what clarification about the functioning of the mind can inspire a current scientist reading the Ethics, whose language (substance, attribute ...) seems far removed from the current scientific language. According to a second interpretation, Spinoza defends a form of panpsychism, the nature of which remains to be elucidated. In this case, a reflection on his work could bring an opening to the current science, without requiring to leave the domain of Nature. This is clearly not the path chosen by Henri Atlan and, in these circumstances, it is difficult to understand how his position differs from that of Damasio, other than at the level of a petition of principle.

Le biologiste et médecin Henri Atlan, qui avait publié en son temps, un essai fort remarqué "Entre le cristal et la fumée", vient de publier un ouvrage sur Spinoza et les sciences actuelles de la cognition. La publication de cet ouvrage représente une excellente occasion de revisiter les conceptions passées et actuelles concernant la relation entre le corps et l'esprit. Pendant longtemps, on a pensé que l'esprit pouvait être représenté par une âme distincte du corps, l’âme et le corps étant considérés comme deux entités disjointes. L’âme était censée commander le corps, mais le lien entre ces deux entités restait mystérieux. Une telle conception a prévalu jusqu'à la fin du Moyen-âge et le début de la Renaissance. Elle était encore celle de Descartes. L'interaction entre l'âme et le corps restait toutefois problématique.  La façon dont l'âme immatérielle peut commander le corps avait fait l'objet dès 1643 d'une question posée à Descartes par la princesse Elisabeth de Bohême. Pour Descartes, l’âme est le siège de la pensée. Il imagine qu'elle pourrait être localisée en un lieu précis et la situe dans la glande pinéale. L'âme s’identifie à la personne, en tant que source de pensées et de sentiments. Le corps n’est qu’un véhicule, une machine qui permet à l’être humain de survivre dans son environnement. Les animaux étant dépourvus d’âme, sont réduits à l’état de machines et Descartes ne leur reconnait ni pensées, ni sentiments, ni même sensations. Les progrès de la science ont mis en évidence le rôle du cerveau comme siège de la réflexion. Les neurosciences ont bénéficié des technologies nouvelles, notamment de l’imagerie médicale, ce qui a permis de localiser des fonctions mentales à différents endroits du cerveau.Il a été reproché à Descartes de faire de l’âme un double de l’être humain, un homoncule qui serait logé dans le cerveau et qui percevrait tous les messages que celui-ci reçoit, créant ainsi le risque logique d’une régression à l’infini. Aujourd’hui, le cerveau est généralement perçu comme le siège unique de la pensée. La notion d’une âme immatérielle devient alors caduque. Simultanément, l’existence de toute forme d’ « esprit » se distinguant de la matière est remise en cause. L’éminent neuroscientifique Antonio Damasio a ainsi dénoncé la conception d’un corps et d’une âme séparés, en la qualifiant d’ « erreur de Descartes ». Contre Descartes, Damasio veut donner raison à Spinoza, qui a adopté un monisme du corps et de l’esprit. Henri Atlan reprend ses arguments, en n'hésitant pas à affirmer que la philosophie de Spinoza apporte aux sciences actuelles une contribution plus importante que celles des autres grands philosophes de la même époque, Descartes, Pascal, Leibnitz ainsi que d'autres plus récents et même contemporains. Mais il reproche à Damasio d'interpréter la philosophie de Spinoza en termes de monisme matérialiste, ce qui pose des problèmes de cohérence dans son interprétation des liens entre corps et esprit. En outre, selon Henri Atlan, cette position matérialiste s’écarte de la position défendue par Spinoza, qui revendiquait l’existence de deux attributs de la Nature, dont aucun ne pouvait s’identifier totalement à l’autre, représentés chez l'être humain respectivement par le corps et l'esprit. C'est cette façon d'échapper à un réductionnisme soit matérialiste, soit idéaliste qui, selon Henri Atlan, constitue tout l'intérêt de la position de Spinoza. Toutefois, son analyse n'échappe pas, elle-même, à des contradictions. En effet, comme beaucoup de scientifiques actuels, Henri Atlan adopte une position physicaliste, consistant à admettre que le fonctionnement du mental est régi par les lois de la physique actuelle. Dans ce cas, l'attribut "esprit" n'est-il pas une simple illusion? 
En fait, il est possible d'interpréter le monisme de Spinoza en deux sens différents. Suivant le premier, il s'agirait d'un monisme préfigurant le monisme matérialiste que défend Damasio. Dans ce cas, on ne voit pas très bien quel éclaircissement concernant le fonctionnement du mental peut inspirer à un scientifique actuel la lecture de l'Ethique, dont le langage (substance, attribut ...) paraît bien éloigné du langage scientifique actuel. Selon une seconde interprétation, Spinoza défendrait une forme de panpsychisme, dont la nature reste à élucider. Dans ce cas, une réflexion sur son oeuvre pourrait apporter une ouverture à la science actuelle, sans nécessiter pour autant de sortir du domaine de la Nature. Ce n'est manifestement pas la voie choisie par Henri Atlan et, dans ces conditions, on comprend mal en quoi sa position diffère de celle de Damasio, autrement qu'au niveau d'une pétition de principe.

mercredi 21 mars 2018

La conscience: tout ou rien? /Consciousness: everything or nothing?


Throughout his life, the human being is subjected to scary questions about the meaning of his life. Does this short existence have any meaning? Is it doomed to sink into nothingness? Failure to have clear answers to these questions greatly aggravates the discomfort and anxiety that is prevalent in our time. Among these questions, the question of consciousness appears as central. In the world of objects around us, more pregnant than ever, what constitutes our subjectivity? How to interpret the irreducible distance that separates our inner being from the outside world? What is the source of our unity, of our personnality? What relationship can be established between our inner self and that of others? The question of consciousness has several aspects. Those directly addressed by present-day science concern the processes through which the perception of all information reaching the consciousness takes place. Knowledge about these processes has progressed considerably thanks to neuroscience. An entirely different question continues to arise. It is that of the nature of consciousness. It is also an unresolved issue. For one of the most thoughtful on this topic, the Australian scholar David Chalmers, it is the difficult question between all. Yet this question conditions the understanding of our own nature. To wonder about it is essential to choose a life line. While there are many books on the questions of consciousness and the mind, they do not give the impression of elucidating the question. After claiming that consciousness represents the "difficult question", David Chalmers believes he has an explanation: consciousness would be reduced to information. So a thermostat would be provided with a beginning of consciousness! Artificial intelligence would be a fortiori associated to a form of consciousness. The philosopher Markus Gabriel adopts a more reasonable point of view, refusing such a reductionism. He criticizes the excessive aims of neuroscience when they claim to explain consciousness. However, he managed the feat of writing an entire book about consciousness, without really discussing its nature nor giving a beginning of explanation to its presence. The words of conscience, of mind, of subjectivity are charged with so many connotations, that to employ them becomes almost impossible. For anyone who accepts a moment to free himself from any preconceived idea, the inner consciousness appears as an evidence, even before any external reality. It is even for each of us the first revelation, the one that allows us to access the miracle of life and the totality of our experience. Yet, as this notion disturbs all those who have adopted a purely materialistic and reductionist point of view, many people simply deny it existence. Consciousness is for them at worst only an illusion, at best a mere fantasy. For all those who share such a view, the intelligent machine represents the new horizon. According to the conceptions adopted, consciousness can thus pass from the Whole, by confounding itself with the Universe, with Nothing, in a narrow materialistic conception, which simply denies its existence.

Tout au long de sa vie, l’être humain est soumis à des questions angoissantes sur le sens de sa vie sur Terre. Cette courte existence a-t-elle une signification ? Est-elle vouée à sombrer dans le néant ? Le fait de ne pas disposer de réponses claires à ces questions aggrave considérablement le mal-être et le sentiment d’angoisse qui sont répandus à notre époque. Parmi ces interrogations, la question de la conscience apparaît comme centrale. Dans le monde d’objets qui nous entoure, plus prégnant que jamais, qu’est ce qui constitue notre subjectivité ? Comment interpréter la distance irréductible qui sépare notre être intérieur du monde extérieur ? Quelle est la source de notre unité, de notre Je? Quelle relation peut-elle être établie entre notre intériorité et celle d’autrui, entre Je et Tu ? La question de la conscience comporte plusieurs aspects. Ceux qui sont directement abordés par la science actuelle concernent les processus à travers lesquels s’effectue la perception de toutes les informations qui parviennent à la conscience. Les connaissances concernant ces processus ont considérablement progressé grâce aux neurosciences.
   Une toute autre question continue à se poser. C’est celle de la nature de la conscience. C’est aussi une question non résolue. Pour l’un de ceux qui ont le plus réfléchi sur ce thème, l’universitaire australien David Chalmers, c’est la question difficile entre toutes. Pourtant cette question conditionne la compréhension de notre propre nature. S’interroger à ce sujet est indispensable pour choisir une ligne de vie. Certes, il existe de nombreux ouvrages sur les questions de la conscience et de l’esprit, mais ils ne donnent guère l'impression d'élucider la question. Après avoir affirmé que la conscience représente la "question difficile", David Chalmers croit disposer d'une explication: la conscience se ramènerait à l'information. Ainsi un thermostat serait pourvu d'un début de conscience! L'intelligence artificielle serait a fortiori accompagnée d'une forme de conscience. Le philosophe Markus Gabriel adopte un point de vue plus raisonnable, en refusant un tel réductionnisme. Il critique les visées excessives des neurosciences lorsqu'elles prétendent expliquer la conscience. Toutefois, il réussit l'exploit de rédiger tout un ouvrage sur la conscience, sans réellement discuter de sa nature ni donner un début d'explication à sa présence. Les mots de conscience, d’esprit, de subjectivité sont chargés de tant de connotations, que les employer devient presque impossible. Pour quiconque accepte un instant de se libérer de toute idée préconçue, la conscience intérieure apparaît comme une évidence, avant même toute réalité extérieure. Elle est même pour chacun d’entre nous la révélation première, celle qui nous permet d’accéder au miracle de la vie et à la totalité de notre expérience. Pourtant, comme cette notion dérange tous ceux qui ont adopté un point de vue purement matérialiste et réductionniste, nombreux sont ceux qui la nient purement et simplement l’existence. La conscience n’est pour eux au pire qu’une illusion, au mieux un simple fantasme. Pour tous ceux-là, la machine intelligente représente le nouvel horizon. Selon les conceptions adoptées, la conscience peut ainsi passer du Tout, en se confondant avec l’Univers, au Rien, dans une conception matérialiste étroite, qui en nie simplement l’existence.