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lundi 12 mars 2018

L'institution imaginaire de la société / The Imaginary Institution of Society


The organization of society depends on a social imaginary, which is formed from all convictions, beliefs and values . This imaginary is distinguished from a simple representation because it refers to a meaning, a set of values. Every society is thus "a system imaginary instituted to cope with new conditions". Each vision of the world, imposing its conceptions, sometimes unconsciously, determines the practices followed by economic and political leaders. Customs that seem unacceptable today have been considered normal at other times. Human sacrifices have been practiced for long periods by advanced civilizations, notably by the Aztecs and the Mayas. Slavery or circus games have been accepted without much reserve in the past. Thus such an eminent thinker as Aristotle approved the practice of slavery, believing that it could not be dispensed with. Even today, practices that are considered lawful are not the same from one country to another. Although abolished if not by right in most countries, the death penalty remains enforced in China, Indonesia or the United States. It is part of the blasphemy punishments in Saudi Arabia, as well as in other countries, such as Pakistan and Kuwait. It is a certain vision of the world that guides artists and architects. Each city reflects the conceptions of its inhabitants. The Roman city of antiquity, with its rectilinear paths intersecting at right angles, reflected the taste for the order of the Roman citizen and the power of public authority. The skyscrapers of New York display a desire for power, while the architecture of a city like Amsterdam meets a more intimate conception of happiness. The collective vision of a group, an ethnic group or a nation is transmitted through different forms of cultural expression: architecture, visual arts, music and literature. Associated within a coherent cultural model, they constitute the testimony of a civilization. If it is attractive enough, such a cultural model can be adopted by another nation, without necessarily being imposed by force. Thus, while preserving its individuality, Japan has adopted the culture of China. Southeast Asia has been strongly influenced by Brahmanic culture, as evidenced by the temples of Angkor. While having conquered Greece, the Roman Empire was seduced by its culture. In the aftermath of the Second World War, the social-democratic model that was then dominant in Europe set itself the goal of ensuring social protection and a form of prosperity for all, while accepting the market economy. This model, based on representative democracy, the welfare state and industrial capitalism, was applied in France during the period of the Thirty Glorious, marked by exceptionally high economic growth. It could be considered as a culmination of modernity, the modern utopia of happiness for all. Such a model is no longer compatible with the postmodern utopia of the current neoliberal system, based on the market, finance, self-organization of social structures and moral relativism. Each individual is supposed to be self-sufficient, in a world that dispenses with any foundation other than calculating utility. The multinationals deploy acentric and connected systems, whose rhizomatic structure, already announced by Gilles Deleuze and Félix Guattari, invades the whole space. The universal principles of liberty, democracy and human rights are, of course, frequently invoked in an almost ritualistic way, but above all they serve as a formal justification for the neoliberal order. The economic procedures applied in the context of the Market replace the political decision. The role of the state is limited to imposing, by force if necessary, the rules set by the economic actors.

L’organisation de la société dépend d’un imaginaire social, qui se forme à partir de l’ensemble des convictions, croyances et valeurs. Cet imaginaire se distingue d’une simple représentation, car il renvoie à une signification, à un ensemble de valeurs. Toute société est ainsi « un système imaginairement institué pour faire face à des conditions nouvelles ». Chaque vision du monde, en imposant ses conceptions, de manière parfois inconsciente, détermine les pratiques suivies par les responsables économiques et politiques. Des coutumes qui paraissent inacceptables aujourd’hui ont été jugées normales à d’autres époques. Les sacrifices humains ont été pratiqués sur de longues périodes par des civilisations avancées, notamment par les Aztèques et les Mayas. L’esclavage ou les jeux du cirque ont été acceptés sans grande réserve dans le passé. Ainsi un penseur aussi éminent qu’Aristote approuvait la pratique de l’esclavage, estimant qu’on ne pouvait s’en dispenser. Même de nos jours, les pratiques jugées licites ne sont pas les mêmes d’un pays à un autre. Bien qu’abolie de fait sinon de droit dans la plupart des pays, la peine de mort reste appliquée en Chine, en Indonésie ou aux États-Unis. Elle fait partie des châtiments pour blasphème en Arabie Saoudite, ainsi que dans d’autres pays, tels que le Pakistan et le Koweït. C’est une certaine vision du monde qui guide les artistes et les architectes. Chaque ville reflète les conceptions de ses habitants. La ville romaine de l’Antiquité, avec ses voies rectilignes se coupant à angles droits, traduisait le goût de l’ordre du citoyen romain et la puissance de l’autorité publique. Les gratte-ciel de New-York affichent une volonté de pouvoir, tandis que l’architecture d’une ville comme Amsterdam répond à une conception plus intime du bonheur. La vision collective d’un groupe, d’une ethnie ou d’une nation se transmet à travers les différentes formes d’expression culturelle : architecture, arts plastiques, musique et littérature. Associées à l’intérieur d’un modèle culturel cohérent, elles constituent le témoignage d’une civilisation. S’il est suffisamment séduisant, un tel modèle culturel peut être adopté par une autre nation, sans être nécessairement imposé par la force. Ainsi, tout en préservant son individualité, le Japon a adopté la culture de la Chine. L’Asie du Sud-Est a été fortement influencée par la culture brahmanique, comme en témoignent les temples d’Angkor. Tout en ayant vaincu la Grèce, l’Empire romain s’est laissé séduire par sa culture.
 Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le modèle social-démocrate qui était alors dominant en Europe, se donnait comme but d’assurer à tous la protection sociale et une forme de prospérité, tout en acceptant l’économie de marché. Ce modèle, fondé sur la démocratie représentative, l’État-providence et le capitalisme industriel, a été appliqué en France durant la période des Trente Glorieuses, marquée par une croissance économique exceptionnellement élevée. Il a pu être considéré comme une forme d’aboutissement de la modernité, l’utopie moderne d’un bonheur pour tous. Un tel modèle n’est plus compatible avec l’utopie postmoderne du système néolibéral actuel, fondé sur le Marché, la finance, l’auto-organisation des structures sociales et le relativisme moral. Chaque individu est censé se suffire à lui-même, dans un monde qui se dispense de tout fondement autre que le calcul d’utilité. Les multinationales déploient des systèmes acentrés et connectés, dont la structure rhizomatique, déjà annoncée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, envahit tout l’espace. Les principes universels de liberté, de démocratie et de droits de l’homme sont, certes, fréquemment invoqués de façon quasiment rituelle, mais ils servent, avant tout, de justification formelle à l’ordre néolibéral. Les procédures économiques appliquées dans le cadre du Marché se substituent à la décision politique. Le rôle de l’État se limite à imposer, par la force s’il le faut, les règles fixées par les acteurs économiques.

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