Ce blog rassemble des informations et des réflexions sur l'avenir qui nous attend.

This blog presents informations and views about the future.

vendredi 20 juillet 2018

Spinoza et les neurosciences / Spinoza and neurosciences


The biologist and physician Henri Atlan, who had published in his time, a much noticed essay "Between the crystal and the smoke", has just issued a book on Spinoza and the current sciences of cognition. The publication of this book represents an excellent opportunity to revisit past and current conceptions of the relationship between body and mind. For a long time it was thought that the mind could be represented by a soul distinct from the body, the soul and the body being considered as two disjoint entities. The soul was supposed to control the body, but the link between these two entities remained mysterious. Such a conception prevailed until the end of the Middle Ages and the beginning of the Renaissance. The interaction between the soul and the body, however, remained problematic. The way in which the immaterial soul can control the body had been the subject of a question put to Descartes by the Princess Elizabeth of Bohemia in 1643. For Descartes, the soul is the seat of thought. He placed it in the pineal gland. The soul identifies with the person, as a source of thoughts and feelings. The body is only a vehicle, a machine that allows the human being to survive in his environment. The animals being devoid of soul, are reduced to the state of machines and Descartes does not recognize them thoughts, feelings, or even sensations. Advances in science have highlighted the role of the brain as the seat of reflection. Neuroscience has benefited from new technologies, including medical imaging, which has made it possible to locate mental functions in different parts of the brain. Descartes has been criticized for making the soul a duplicate of the human being. a homunculus that would be housed in the brain and that would perceive all the messages that it receives, thus creating the logical risk of a regression to infinity. Today, the brain is generally perceived as the sole seat of thought. The notion of an immaterial soul then becomes obsolete. At the same time, the existence of any form of "spirit" that is different from matter is called into question. The eminent neuroscientist Antonio Damasio denounced the conception of a separate body and soul, calling it a "Descartes' error". Against Descartes, Damasio wants to give reason to Spinoza, who has adopted a monism of body and mind. Henri Atlan resumes his arguments, not hesitating to affirm that the philosophy of Spinoza brings to the current sciences a more important contribution than those of the other great philosophers of the same period, Descartes, Pascal, Leibnitz as well as other more recent and even contemporaries. But he blames Damasio for interpreting Spinoza's philosophy in terms of materialist monism, which poses problems of coherence in his interpretation of the links between body and mind. In addition, according to Henri Atlan, this materialist position departs from the position defended by Spinoza, who claimed the existence of two attributes of Nature, none of which could fully identify with the other, represented in the human being. human respectively by body and mind. It is this way of escaping a reductionism that is either materialistic or idealistic, which, according to Henri Atlan, constitutes the whole interest of Spinoza's position. However, his analysis does not escape, itself, contradictions. Indeed, like many current scientists, Henri Atlan adopts a physicalist position, consisting in admitting that the functioning of the mind is governed by the laws of the current physics. In this case, is not the attribute "spirit" a mere illusion?
In fact, it is possible to interpret Spinoza's monism in two different ways. Following the first, it would be a monism foreshadowing the materialistic monism that Damasio defends. In this case, it is unclear what clarification about the functioning of the mind can inspire a current scientist reading the Ethics, whose language (substance, attribute ...) seems far removed from the current scientific language. According to a second interpretation, Spinoza defends a form of panpsychism, the nature of which remains to be elucidated. In this case, a reflection on his work could bring an opening to the current science, without requiring to leave the domain of Nature. This is clearly not the path chosen by Henri Atlan and, in these circumstances, it is difficult to understand how his position differs from that of Damasio, other than at the level of a petition of principle.

Le biologiste et médecin Henri Atlan, qui avait publié en son temps, un essai fort remarqué "Entre le cristal et la fumée", vient de publier un ouvrage sur Spinoza et les sciences actuelles de la cognition. La publication de cet ouvrage représente une excellente occasion de revisiter les conceptions passées et actuelles concernant la relation entre le corps et l'esprit. Pendant longtemps, on a pensé que l'esprit pouvait être représenté par une âme distincte du corps, l’âme et le corps étant considérés comme deux entités disjointes. L’âme était censée commander le corps, mais le lien entre ces deux entités restait mystérieux. Une telle conception a prévalu jusqu'à la fin du Moyen-âge et le début de la Renaissance. Elle était encore celle de Descartes. L'interaction entre l'âme et le corps restait toutefois problématique.  La façon dont l'âme immatérielle peut commander le corps avait fait l'objet dès 1643 d'une question posée à Descartes par la princesse Elisabeth de Bohême. Pour Descartes, l’âme est le siège de la pensée. Il imagine qu'elle pourrait être localisée en un lieu précis et la situe dans la glande pinéale. L'âme s’identifie à la personne, en tant que source de pensées et de sentiments. Le corps n’est qu’un véhicule, une machine qui permet à l’être humain de survivre dans son environnement. Les animaux étant dépourvus d’âme, sont réduits à l’état de machines et Descartes ne leur reconnait ni pensées, ni sentiments, ni même sensations. Les progrès de la science ont mis en évidence le rôle du cerveau comme siège de la réflexion. Les neurosciences ont bénéficié des technologies nouvelles, notamment de l’imagerie médicale, ce qui a permis de localiser des fonctions mentales à différents endroits du cerveau.Il a été reproché à Descartes de faire de l’âme un double de l’être humain, un homoncule qui serait logé dans le cerveau et qui percevrait tous les messages que celui-ci reçoit, créant ainsi le risque logique d’une régression à l’infini. Aujourd’hui, le cerveau est généralement perçu comme le siège unique de la pensée. La notion d’une âme immatérielle devient alors caduque. Simultanément, l’existence de toute forme d’ « esprit » se distinguant de la matière est remise en cause. L’éminent neuroscientifique Antonio Damasio a ainsi dénoncé la conception d’un corps et d’une âme séparés, en la qualifiant d’ « erreur de Descartes ». Contre Descartes, Damasio veut donner raison à Spinoza, qui a adopté un monisme du corps et de l’esprit. Henri Atlan reprend ses arguments, en n'hésitant pas à affirmer que la philosophie de Spinoza apporte aux sciences actuelles une contribution plus importante que celles des autres grands philosophes de la même époque, Descartes, Pascal, Leibnitz ainsi que d'autres plus récents et même contemporains. Mais il reproche à Damasio d'interpréter la philosophie de Spinoza en termes de monisme matérialiste, ce qui pose des problèmes de cohérence dans son interprétation des liens entre corps et esprit. En outre, selon Henri Atlan, cette position matérialiste s’écarte de la position défendue par Spinoza, qui revendiquait l’existence de deux attributs de la Nature, dont aucun ne pouvait s’identifier totalement à l’autre, représentés chez l'être humain respectivement par le corps et l'esprit. C'est cette façon d'échapper à un réductionnisme soit matérialiste, soit idéaliste qui, selon Henri Atlan, constitue tout l'intérêt de la position de Spinoza. Toutefois, son analyse n'échappe pas, elle-même, à des contradictions. En effet, comme beaucoup de scientifiques actuels, Henri Atlan adopte une position physicaliste, consistant à admettre que le fonctionnement du mental est régi par les lois de la physique actuelle. Dans ce cas, l'attribut "esprit" n'est-il pas une simple illusion? 
En fait, il est possible d'interpréter le monisme de Spinoza en deux sens différents. Suivant le premier, il s'agirait d'un monisme préfigurant le monisme matérialiste que défend Damasio. Dans ce cas, on ne voit pas très bien quel éclaircissement concernant le fonctionnement du mental peut inspirer à un scientifique actuel la lecture de l'Ethique, dont le langage (substance, attribut ...) paraît bien éloigné du langage scientifique actuel. Selon une seconde interprétation, Spinoza défendrait une forme de panpsychisme, dont la nature reste à élucider. Dans ce cas, une réflexion sur son oeuvre pourrait apporter une ouverture à la science actuelle, sans nécessiter pour autant de sortir du domaine de la Nature. Ce n'est manifestement pas la voie choisie par Henri Atlan et, dans ces conditions, on comprend mal en quoi sa position diffère de celle de Damasio, autrement qu'au niveau d'une pétition de principe.

samedi 7 juillet 2018

La fin de la globalisation? / The end of globalization?


Is the trade war that broke out between the United States, China and the European Union, at the initiative of Donald Trump, a sign that globalization is ending? Not really, since the development of communication networks on a global scale, which relies on a very rapid technical progress, is undoubtedly irreversible. On the other hand, the current situation could represent a turning point, signifying the end of the flat world ideology, which was introduced by Reagan and Thatcher, which considers that the free movement of capital, goods and people across the globe represents the good in itself and should be considered as a basic principle for any world organization of society. Such an ideology has been enthusiastically accepted by the European Union, at least at the Commission level. Globalization thus conceived can avail itself of incontestable advantages and, first and foremost, that of being able to produce less expensive goods. It is also clearly advantageous for multinational financial, industrial and commercial companies, which can thus maximize their profit margins. For all that, is it beneficial for the populations? The impact on the environment is clearly negative, which explains the increasing rate of growth of greenhouse gas emissions, despite all the international discussions aimed at curbing them. Globalization has had a positive effect on the growth of emerging countries like China, which in itself is a good thing, but it has also had many negative effects: job losses in developed countries, which explain reactions described as "populist", loss of autonomy and resilience all over the world especially in developing countries. As a result, food crop production in Africa is often in danger because of the competition from imported agricultural products. Millions of farmers have to move to urban centers, where they swell the slum population. It seems clear that it is a question of finding the right balance between autonomy and exchange. This balance is difficult to find, which can lead the world to oscillate between liberalism and protectionism. In any case, it will be increasingly difficult to defend the ideology of the flat world and the end of this world seems programmed.


La guerre commerciale qui s'est déclenchée entre les Etats-Unis, la Chine et l'Union Européenne, à l'initiative de Donald Trump, signifie-t-elle la fin de la globalisation? Pas vraiment, dans la mesure où le développement des réseaux de communication à l'échelle mondiale, qui s'appuie sur un progrès technique très rapide est sans doute irréversible. Par contre, la situation actuelle pourrait représenter un tournant, en signifiant la fin d'une idéologie, venue des Etats-Unis et du Royaume-Uni, à l'époque de Reagan et Thatcher, celle du monde plat, qui consistait à considérer que la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes sur l'ensemble du globe représentait le bien en soi et devait  être considérée comme un principe de base de toute organisation mondiale de la société. Une telle idéologie a été notamment acceptée avec enthousiasme par l'Union Européenne, non seulement à l'échelle communautaire, mais aussi au niveau international.
La globalisation ainsi conçue peut se prévaloir d'incontestables avantages et en tout premier lieu celui de pouvoir produire moins cher. Elle est aussi manifestement avantageuse pour les multinationales financières, industrielles et commerciales, qui peuvent ainsi maximiser leurs marges de profit. Pour autant est-elle bénéfique pour l'ensemble des populations concernées? L'impact sur l'environnement est manifestement négatif, ce qui explique l'accroissement du rythme de progression des émissions de gaz à effet de serre, en dépit de toutes les discussions internationales visant à les freiner. La globalisation a eu un effet positif sur la progression de pays émergents comme la Chine, ce qui, en soi, est une bonne chose, mais elle a eu aussi de nombreux effets négatifs: pertes d'emplois dans les pays développés, qui expliquent les réactions qualifiées de "populistes", perte d'autonomie et  de résilience partout dans le monde notamment dans les pays en développement. Ainsi les productions agricoles vivrières en Afrique disparaissent en raison de la concurrence imposée par les produits agricoles importés. Des millions d'agriculteurs sont ainsi amenés à se déplacer vers les centres urbains, où ils viennent grossir la population des bidonvilles. Il semble clair qu'il s'agit de trouver un juste équilibre entre autonomie et échange. Cet équilibre est difficile à trouver, ce qui peut conduire le monde à osciller entre libéralisme et protectionnisme. En tout état de cause, il sera de plus en plus difficile de défendre l'idéologie du monde plat et la fin de ce monde semble programmée.

dimanche 24 juin 2018

Developpement personnel / Personal development



Personal development has already a long history. During the years of growth of the western economy, it has mainly concerned professional success. This success was measured in terms of material and financial gains. The successive crises encountered since the beginning of the 2,000 s have contributed to placing such a step in the background. It turned out that wanting professional success at any cost put the health and family life in danger, with the risk of losing everything as a result of a change of circumstances. This is the reason why personal development now more often aims at personal fulfillment, through an individuation process, by  aiming at being rather than having. Joining paths of spiritual search and wisdom, the methods of personal development may involve mindfulness meditation, sophrology or psychoanalysis. The short White Book about the personal development of the publisher Yves Michel illustrates such a trend by presenting a set of texts on various topics which are all in relation with experiences lived by the contributors. Each of them tell us about the history of personal development, what it is or is not and how it can pave the way towards a more human  and more ecological world, as a counterpoint to the materialist and consumerist tendency of our society. Among the various papers, the contribution of the futurist Bruno Marion raises the issue of how to build a desirable future in the middle of a chaotic world. For reaching such a goal he proposes to focus not only on the outside world, but rather on the inner world, replacing the Technological Singularity by the Consciousness Singularity.  He advocates to make the best use of the chaos and to exploit the "butterfly effect" for achieving our dreams. To master one's destiny, to find meaning in life and to reach happiness in the midst of the vicissitudes of existence, constitute the new goals of a people-centered development pattern.

Le développement personnel a déjà derrière lui une longue histoire. Au cours des années de croissance de l'économie occidentale, il a surtout concerné la réussite professionnelle. Cette réussite était mesurée en termes de gains matériels et financiers. 
   Les crises successives rencontrées depuis le début de années 2000 ont contribué à placer une telle démarche au second plan. Il est apparu que vouloir la réussite professionnelle à tout prix mettait la santé et la vie familiale en danger, avec le risque de tout perdre par suite d'un changement de conjoncture. C'est la raison pour laquelle le développement personnel vise à présent plus fréquemment l'épanouissement personnel, à travers un processus d'individuation de la personne. Il rejoint ainsi des voies de recherche spirituelle et de sagesse, en visant l'être plutôt que l'avoir. Les méthodes de développement personnel côtoient ainsi la méditation de pleine conscience, la sophrologie ou la psychanalyse. 
   Le petit livre blanc du développement personnel de l'éditeur Yves Michel en témoigne en présentant un ensemble de textes sur des thèmes divers qui sont tous en relation avec des expériences vécues par les auteurs.  Chacun.e leur tour, les contributrices et contributeurs nous parlent de l'histoire du développement personnel, ce qu'il est ou n'est pas et surtout, comment nous pouvons le construire ensemble, pour paver le chemin vers un monde plus humain et plus écologique ; un contrepoint à la tendance matérialiste et consumériste de notre société.
    Parmi les différentes contributions, celle du prospectiviste Bruno Marion pose la question de savoir comment bâtir un avenir souhaitable au milieu d'un monde chaotique. Pour cela il propose de ne pas s'intéresser uniquement au monde extérieur et de privilégier le monde intérieur. A la Singularité technologique, il oppose la Singularité de Conscience et préconise d'exploiter "l'effet papillon" pour réaliser ses rêves.
   Maîtriser son destin, trouver un sens dans la vie, parvenir au bonheur au milieu des vicissitudes de l'existence constituent ainsi les nouveaux objectifs d'un développement humain centré sur la personne.

jeudi 7 juin 2018

Globalisation et écologie / Globalization and ecology



Globalization, which has been put in place, has resulted from the conjunction of globalization and neoliberal ideology. By ensuring near instantaneous flows of information and financial flows from one end of the world to the other, digital technologies have enabled its implementation. Globalization, organized according to the rules of neoliberal governance, has entrusted all arbitrations to the market, considering profit as the exclusive engine of the economy. It has led to the current flat world, open to all commercial and financial movements. Whereas classical liberalism still referred to a humanist principle of reciprocity, neoliberalism is placed in a world of competition, governed solely by the balance of power. This competition favors systematically the least saying on the social level and environment. Giant factories are set up in places where the protection of workers and the preservation of the environment are least assured. It leads to maximizing the exploitation of natural resources, such as fossil energy resources or raw materials, despite the resulting impact on the environment. The resulting lowering of costs is often put forward as an advantage of globalization, but it has led to overexploitation of raw materials and in particular materials whose availability is limited such as platinum, cobalt and rare earths. As a result, the major issues that concern the environment, global warming, the collapse of biodiversity and the pollution of water and air, even if they are better perceived, are still unresolved. The solutions that seemed to prevail ten years ago, especially to fight against global warming, are still not implemented, because they face the logic of globalization today. A return to the local could undermine growth but would better preserve the environment as well as local economies, especially those based on food crops in developing countries. The commons are also better defended at a local level than at a global level. Small countries are better at protecting their environment and social environment than larger ones. Therefore the current cracks of the flat world, whether in the United States or in Europe, despite their chaotic nature and the risks they entail, could be heralding the end of the flat world and a return, at least partial to the local, which would probably be good news for the environment and social balance.

La globalisation, qui a été mise en place, a résulté de la conjonction de la mondialisation et de l’idéologienéolibérale. En assurant une quasi-instantanéité des flux d’informations et des flux financiers d’un bout à l’autre de la planète, les technologies numériques ont permis sa mise en œuvre. La globalisation, organisée selon les règles de la gouvernance néolibérale, a confié tous les arbitrages au Marché, en considérant le profit comme le moteur exclusif de l’économie. Elle a conduit au monde plat actuel, ouvert à tous les mouvements commerciaux et financiers. Alors que le libéralisme classique se référait encore à un principe humaniste de réciprocité, le néolibéralisme se place dans un univers de compétition, régi par les seuls rapports de force. Cette compétition favorise systématiquement le moins disant sur le plan social et environnement. Des usines géantes sont installées dans des lieux où la protection des travailleurs ainsi que la préservation de l'environnement sont le moins bien assurées. Elle conduit à maximiser l'exploitation des ressources naturelles, telles que les ressources d'énergie fossile ou de matières premières en dépit de l'impact qui en résulte sur l'environnement. L'abaissement des coûts qui en résulte est souvent mis en avant comme un avantage de la globalisation, mais il a conduit à une surexploitation des matières premières et notamment de matériaux dont les disponibilités sont limitées telles que platine, cobalt et terres rares.
De ce fait, les grandes questions qui concernent l’environnement, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la pollution de l’eau et de l’air, même si elles sont mieux perçues, ne sont toujours pas résolues. Les solutions qui paraissaient s’imposer, il y a déjà dix ans, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique, ne sont toujours pas mises en œuvre, car elles se heurtent à la logique de la globalisation actuelle.
Un retour au local pourrait mettre à mal la croissance mais permettrait de mieux préserver l'environnement ainsi que des économies locales, notamment celles qui sont basées sur des cultures vivrières dans les pays en développement. Les biens communs sont également mieux défendus à un niveau local qu'à un niveau global. Les petits pays préservent mieux leur environnement et leur milieu social que les grands.
Dès lors les craquements actuels du monde plat, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, en dépit de leur caractère chaotique et des risques qu'ils comportent, pourraient être annonciateurs de la fin de ce monde plat et d'un retour, au moins partiel au local, ce qui serait sans doute une bonne nouvelle pour l'environnement et l'équilibre social.

jeudi 31 mai 2018

Ce qui dépend de nous / What depends on us


In his last book, the philosopher Pascal Chabot evokes the difficulty we have in acting in a world that has become a powerful system, guided by ultra-strong forces that we feel unable to dominate. We find ourselves locked within a sphere, which isolates and protects us from the outside, but at the same time imprisons us. Pascal Chabot evokes the glass walls, which form a transparent fence, which we can forget but which separates us from the outside. He describes the world in terms of bay windows, seats and screens. Thus, he seems to forget underground mining, giant slaughterhouses, sweat shops and shantytowns that form the foundations of the "system", like a contemporary "metropolis". Lucidity is most certainly a first requirement imposed in the face of rising dangers. When he talks about the ultraforces that transform the system, mixing finance, digital computing, energy demography, communication, robotization, mobilization and populism, he presents all these factors as natural phenomena, self-imposed and to which it would be vain. to oppose. However, following this reasoning, it should be considered that all the current problems, global warming, environmental degradation, rising inequalities and increasing geopolitical tensions are a fatality completely independent from our will, a rather hopeless point of view, to which it seems difficult to adhere. In fact, behind the "ultraforces" are human decisions that each of us can help to change. In the end, what Pascal Chabot proposes is to cultivate the "care of oneself", to seek a form of balance, to taste the flavor of existing, which is "what depends on us". Such a wisdom, with its reference to Epictetus and Stoicism,  is certainly useful. This form of quietism, however, may lead to passivity. Pascal Chabot evokes the resistance to ultraforces. It cannot remain only intimate and requires a collective movement. It is not really satisfactory to be carried away by the current, tasting the tranquility of the moment. It seems preferable to know the destination of the current. If it leads us to an ecological catastrophe or a new world war, we must do everything to avoid it. Of course, cultural factors are essential. By prioritizing culture, the environment and the social rather than GDP and power, it might become possible to avoid the final disaster. However, such a change of priorities will only be effective if it is widely shared. It is not enough to cultivate one's own convictions. It is also a question of being able to share them. That too "depends on us" and therefore comes out of our responsibility.

Dans son dernier ouvrage, le philosophe Pascal Chabot évoque la difficulté que nous éprouvons à agir dans un monde qui est devenu un puissant système, guidé par des ultraforces que nous nous sentons incapables de dominer.
Nous nous trouvons enfermés dans une sphere, qui nous isole et nous protège de l'extérieur, mais en même temps nous emprisonne. Pascal Chabot évoque les parois en verre, qui forment une cloture transparente, que nous pouvons oublier mais qui nous sépare de l'extérieur. Il décrit de monde en termes de baies vitrées, de sièges et d'écrans. Il semble toutefois oublier totalement les mines d'extraction, les abattoirs géants, les "sweat shops" et les bidonvilles qui forment les soubassements du "système", à l'image d'une "metropolis" contemporaine. Faire preuve de lucidité est donc une première exigence qui s'impose face à la montée des périls.
Lorsqu'il évoque les ultraforces qui transforment le système, en mêlant finance, numérique, énergie démographie, communication, robotisation, mobilisation et populisme, il les présente  comme des phénomènes naturels, qui s'imposent d'eux-mêmes et auxquels il serait vain de s'opposer. Toutefois, en suivant ce raisonnement, il faudrait considérer que tous les problème actuels, réchauffement climatique, dégradation de l'environnement, montée des inégalités, tensions géopolitiques croissantes sont une fatalité à laquelle on ne peut rien, ce qui serait un point de vue quelque peu désespérant, auquel il est difficile d'adhérer. En fait, derrière les "ultraforces" on trouve des décisions humaines que chacun d'entre nous peut contribuer à infléchir.
En définitive, ce que propose Pascal Chabot, c'est de cultiver le "souci de soi", de rechercher une forme d'équilibre, de goûter la saveur d'exister, car c'est "ce qui dépend de nous". Cette forme de sagesse, cette référence à Épictète et au stoïcisme sont certainement utiles. Cette forme de quiétisme risque toutefois de mener à la passivité. Pascal Chabot évoque la résistance aux ultraforces. Celle-ci ne peut se vivre seulement de manière intime. Elle nécessite un mouvement collectif. 
Il ne suffit pas de se laisser entraîner par le courant, en goûtant la tranquillité du moment. Il est préférable de savoir où le courant nous mène. S'il nous conduit à une catastrophe écologique ou à une nouvelle guerre mondiale, il faut tout faire pour l'éviter. Certes, les facteurs culturels sont essentiels. C'est en donnant la priorité à la culture, à l'environnement et au social plutôt qu'au PIB et au pouvoir, qu'il sera possible d'éviter la catastrophe finale. Toutefois, un tel changement de priorités ne sera effectif que s'il est largement partagé. Il ne suffit donc pas de cultiver ses propres convictions. Il s'agit aussi de parvenir à les partager. Cela aussi dépend de nous et ressort donc de notre responsabilité. 

jeudi 24 mai 2018

Hypermenaces / Hyperthreats



The philosopher Timothy Morton introduced the notion of hyperobjects, that is, objects or phenomena that are too complex and too large scale for us to understand correctly their behaviour. The notion of hyperobjects becomes particularly relevant in the case of hyperthreats, because if humanity becomes unable to cope, its survival is called into question. Two hyperthreats are particularly critical at the moment. The first concerns the environment and global warming. It is a particularly complex phenomenon, which involves the entire planet and which requires a close collaboration between all nations. The solutions required call for significant investments and major changes in lifestyles. Defining an agenda for action on a global scale and achieving an equitable distribution of the efforts to be undertaken are tasks that might exceed the capacity of humanity to act in a concerted manner. If we observe the steady increase in greenhouse gas emissions since the beginning of the climate negotiations, that is to say almost 25 years ago, we can legitimately doubt a favorable outcome, in a context of increasing international tensions. Nuclear weapons represent a second major issue, as their presence poses a permanent threat to the survival of humanity. While the power of the Hiroshima atomic bomb was about 20 kilotons (kt) of TNT equivalent, that of a thermonuclear fusion bomb is between 10 and 50 million tons (Mt), or 500 to 500  Hiroshima bombs. It is clear that the use of such a weapon on inhabited centers would have a truly apocalyptic effect. By the 1950s, Günther Anders had noted that Hiroshima was the beginning of a new world, in which humanity would live under the constant threat of a nuclear apocalypse. To conceive the disappearance of humanity is difficult for a person or even an institution. Since Hiroshima, the worst has not happened and as a result the threat has seemed to diverge. In fact, this situation has contributed to increase the risk of disaster, by blunting the most acute fears. The risks are not limited to nuclear proliferation, nor to countries such as South Korea or Iran. They also concern countries that have long held nuclear weapons. The development of increasingly sophisticated missiles, the shortening of the time required to strike, and the proliferation of so-called "tactical" nuclear weapons are contributing to an increase the unstability of nuclear deterrence. An unexpected sequence of circumstances could lead to apocalypse, even in the absence of a deliberate willingness to take such a risk. Günther Anders spoke of the obsolescence of man, who has become incapable of mastering his technical achievements. The hyperthreats he faces may exceed his ability to overcome them.

Le philosophe Timothy Morton a introduit la notion d'hyperobjets, c'est à dire d'objets ou de phénomènes trop complexes et se situant à une échelle trop vaste pour que nous puissions les appréhender correctement. La notion d'hyperobjets devient particulièrement pertinente dans le cas d'hypermenaces, car si l'humanité devient incapable d'y faire face, sa survie est alors mise en question. Deux hypermenaces sont particulièrement critiques à l'heure actuelle. La première concerne l'environnement et le réchauffement climatique. Il s'agit d'un phénomène particulièrement complexe, qui concerne l'ensemble de la planète et qui nécessite une collaboration étroite entre toutes les nations. Les solutions à apporter réclament  des investissements considérables et des changements importants dans les modes de vie.  Définir un programme d'action à l'échelle de la planète et parvenir à une répartition équitable des efforts à engager sont des tâches qui risquent de dépasser les capacités de l'humanité à agir de façon concertée. Si l'on observe la progression continue des émissions de gaz à effet de serre depuis le début des négociations climatiques c'est à dire il y a près de 25 ans, on peut légitimement douter d'une issue favorable, dans un contexte international marqué par les rivalités et les tensions.
Le second problème concerne la question des armes nucléaires dont la présence constitue un péril permanent pour la survie de l'humanité. Alors que la puissance de la bombe atomique d’Hiroshima était d’environ 20 kilotonnes (kt) d’équivalent TNT, celle d’une bombe thermonucléaire à fusion se situe entre 10 et 50 millions de tonnes (Mt), soit 500 à 2 500 bombes d’Hiroshima. Il est clair que l’usage d’une telle arme sur des centres habités aurait un effet véritablement apocalyptique. Dès les années 1950, Günther Anders avait noté qu'Hiroshima marquait un tournant et que dès lors l'humanité allait vivre sous la menace permanente d'une apocalypse nucléaire. Concevoir la disparition de l'humanité est difficile pour une personne ou même une institution. Depuis Hiroshima, le pire ne s'est pas produit et de ce fait la menace a paru s'écarter. En fait, cette situation a contribué à augmenter le risque de catastrophe, en émoussant les craintes les plus vives. Les risques ne se limitent pas à la prolifération nucléaire, ni aux pays tels que la Corée du Sud ou l'Iran. Ils concernent aussi les pays qui possèdent depuis longtemps des armes nucléaires. Le développement de missiles de plus en plus perfectionnés, le raccourcissement du délai nécessaire pour effectuer une frappe, la multiplication des armes nucléaires dites "tactiques" contribuent à rendre de plus en plus instable la dissuasion nucléaire. Un enchaînement inattendu de circonstances pourrait conduire à l'apocalypse, même en l'absence de volonté délibérée de prendre un tel risque. Günther Anders évoquait l'obsolescence de l'homme, devenu incapable de maîtriser ses réalisations techniques. Les hypermenaces auxquelles il doit faire face pourraient dépasser sa capacité à les surmonter.

vendredi 18 mai 2018

La fin du monde plat / the end of the flat world


Globalization, organized according to the rules of neoliberal governance, has entrusted all arbitrations to the market, considering profit as the exclusive engine of the economy. It has led to the current flat world, open to all commercial and financial movements. Whereas classical liberalism still referred to a humanist principle of reciprocity, neoliberalism is placed in a world of competition, governed solely by the balance of power. As a result, the major issues that concern the environment, global warming, the collapse of biodiversity and the pollution of water and air, even if they are better perceived, are still unresolved. The horizon of sustainable development, which seemed to provide an early answer to these questions, is clouded by clouds of oppressive international tensions. Military interventions and terrorist acts are relentlessly linked. The idea that the world could flare up again is insistent. Massive migrations are no longer a mere fiction, but a tragic reality. At the end of the nineteenth century, the English author Edwin A. Abbott had imagined a flat, two-dimensional, Flatland world populated by polygons. In such a world, any closed figure imposes insurmountable limits. The arrival of a sphere is experienced as a supernatural event. The flatland world is a metaphor for ours. We are locked in the flat world of globalization, presented as a form of outcome, with no alternative. Subjected to the imperatives of globalization, standardized and deprived of transcendence, this flat world, totally open to international trade and to indefinitely repeated standards, is destructive of the environment and cultures inherited from the past. Due to the capture of the whole social domain by the economy, internal values ​​no longer find their place. Their loss is likely to cause an irreversible decline to which the western world is already exposed. Beyond the economic and financial crisis, the impossibility of transgressing the laws of the market, as well as the abandonment of any foundation other than economic calculation, have led to a crisis of meaning, which affects a large part of the current globalized world. . The reign of consumerism discredits the moral superiority of which the West prides itself. The general feeling of disenchantment is reflected in a lack of a vision for the future, all the more worrying as humanity faces considerable challenges: environmental degradation, growing inequalities, technological risks, weapons of mass destruction. According to the historian Arnold Toynbee, the disintegration of civilizations is associated with a spiritual rupture, a schism of the soul, which induces a general feeling of uneasiness. Society loses confidence in its leaders, who try to retain their power by force. Centrifugal tendencies lead to the dislocation of institutions. If the current crisis is such a diagnosis, it could prove fatal to the model of civilization that is currently ours. From now on, the flat world of globalization presents signs of impending rupture. Since the financial crisis of 2008, it has suffered multiple traumas and the gaps that appear tend to widen. Brexit in Europe, the election of Donald Trump in the United States, the desire for independence of the BRICS, are among the symptoms of the growing rejection of globalization, as it was conceived in the 1990s. In Italy, the government agreement bringing together the Northern League and the five-star movement is the most recent symptom of the ongoing disintegration of the flat world, particularly affecting the European Union which has been built according to this model. The end of the flat world thus seems inevitable, even if fixing the term remains hazardous. Such a diagnosis raises the question of the alternative system capable of replacing it. A world will die, but what world will be born?
Different scenarios can be envisaged. In the face of an irretrievable decline, the current system could evolve into an authoritarian regime, limiting freedoms and reinforcing inequalities. In all likelihood, the rise of violence accompanying such an outcome would then lead the world to a major conflict, even the Nuclear Apocalypse. This would, no doubt, be the end of the civilization we know now. Mankind would take a long time to recover, if it ever succeeds. Other, more optimistic scenarios can be considered. They imply a profound change of habits and mentalities. For the moment, despite all the good wills deployed and the many initiatives underway, we still do not see the light at the end of the tunnel.

La globalisation, organisée selon les règles de la gouvernance néolibérale, a confié tous les arbitrages au Marché, en considérant le profit comme le moteur exclusif de l’économie. Elle a conduit au monde plat actuel, ouvert à tous les mouvements commerciaux et financiers. Alors que le libéralisme classique se référait encore à un principe humaniste de réciprocité, le néolibéralisme se place dans un univers de compétition, régi par les seuls rapports de force. De ce fait, les grandes questions qui concernent l’environnement, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la pollution de l’eau et de l’air, même si elles sont mieux perçues, ne sont toujours pas résolues. L’horizon du développement durable, qui semblait apporter un début de réponse à ces questions, est obscurci par les nuages de tensions internationales oppressantes. Les interventions militaires et les actes terroristes s’enchaînent sans répit. L’idée que le monde pourrait s’embraser à nouveau revient avec insistance. Les migrations massives ne sont plus une simple fiction, mais deviennent une tragique réalité. À la fin du XIXe siècle, l’auteur anglais Edwin A. Abbott avait imaginé un monde plat à deux dimensions, Flatland, peuplé de polygones. Dans un tel monde, n’importe quelle figure fermée impose des limites infranchissables. L’arrivée d’une sphère est vécue comme un événement surnaturel. Le monde de flatland est une métaphore du nôtre. Nous sommes enfermés dans le monde plat de la globalisation, présenté comme une forme d’aboutissement, sans alternative possible. Soumis aux impératifs de la mondialisation, uniformisé et privé de transcendance, ce monde plat, totalement ouvert au commerce international et à des standards indéfiniment répétés, est destructeur de l’environnement et des cultures héritées du passé. Du fait de l’accaparement de l’ensemble du domaine social par l’économie, les valeurs intérieures ne trouvent plus leur place. Leur perte risque de provoquer un déclin irréversible auquel le monde occidental est d’ores et déjà exposé.
Au-delà de la crise économique et financière, l’impossibilité de transgresser les lois du Marché, ainsi que l’abandon de tout fondement autre que le calcul économique, ont entraîné une crise du sens, qui affecte une large partie du monde globalisé actuel. Le règne du consumérisme décrédibilise la supériorité morale dont se targue l’Occident. Le sentiment général de désenchantement se traduit par une absence de vision d’avenir, d’autant plus préoccupante que l’humanité est confrontée à des défis considérables : dégradation de l’environnement, inégalités croissantes, risques technologiques, armes de destruction massive. Selon l’historien Arnold Toynbee, la désagrégation des civilisations est associée à une rupture spirituelle, un schisme de l’âme, qui induit un sentiment général de malaise[3]. La société perd confiance dans ses dirigeants, qui tentent de conserver leur pouvoir par la force. Les tendances centrifuges entraînent la dislocation des institutions. Si la crise actuelle relève d’un tel diagnostic, elle pourrait s’avérer fatale au modèle de civilisation qui est actuellement le nôtre. Dès à présent, le monde plat de la globalisation présente des signes de rupture imminente. Depuis la crise financière de 2008, il a subi de multiples traumatismes et les brèches qui apparaissent tendent à s’élargir. Le Brexit en Europe, l’élection de Donald Trump aux États-Unis, la volonté d’indépendance des BRICS, figurent parmi les symptômes du rejet croissant de la globalisation, telle qu’elle a été conçue au cours des années 1990. En Italie, l'accord de gouvernement réunissant la Ligue du Nord et le mouvement cinq étoiles est le dernier symptôme de la désintégration en cours du monde plat, affectant tout particulièrement l'Union Européenne qui s'est construite selon ce modèle. La fin du monde plat semble ainsi inéluctable, même si en fixer le terme demeure hasardeux. Un tel diagnostic pose la question du système alternatif capable de le remplacer. Un monde va mourir, mais quel monde va naître ?
Différents scénarios peuvent être envisagés. Face à un déclin irrémédiable, le système actuel pourrait évoluer vers un régime autoritaire, limitant les libertés et renforçant les inégalités. Selon toute vraisemblance, la montée de violence accompagnant une telle issue conduirait alors le monde vers un conflit majeur, voire l’Apocalypse nucléaire. Ce serait, sans doute, la fin de la civilisation que nous connaissons à présent. L’humanité mettrait beaucoup de temps à s’en remettre, si elle y parvient jamais. D'autres scénarios, plus optimistes, peuvent être envisagés. Ils impliquent un changement profond des habitudes et des mentalités. Pour le moment, malgré toutes les bonnes volontés déployées et les multiples initiatives en cours, on ne perçoit pas encore la lumière au bout du tunnel.