
Le dernier ouvrage du philosophe belge Pascal Chabot s'intitule "L'âge des transitions". Selon l'auteur, la transition, c'est le bon changement, "le changement désiré". Certes, et c'est aussi, pourrait-on ajouter, "le changement maîtrisé". L'auteur va plus loin et affirme que la philosophie est "la pensée des transitions". Cette affirmation est plus discutable, surtout quand elle s'appuie sur l'exemple de la caverne de Platon. Le terme de transition ne semble guère approprié pour évoquer l'éveil ou la conversion du regard, qui font passer de l'obscurité à la lumière, des illusions à la vérité.
De fait, les principales transitions qu'évoque l'auteur ne sont pas philosophiques, mais économiques et sociales. Il évoque, notamment, la transition énergétique et la transition démographique et exprime son penchant pour une "transitologie" généralisée. En effet, selon lui, la rupture est devenue impossible. Toute posture radicale est désuète, car le monde est devenu trop complexe. On ne peut plus le bouleverser sans le détruire. On peut comprendre la crainte qu'exprime Pascal Chabot d'une destruction qui deviendrait irrésistible. Il s'agit là toutefois d'un point de vue qui peut sembler quelque peu limité, voire naïf. Il faudrait d'abord expliquer pourquoi le changement est devenu indispensable. La raison tient tout simplement au fait que la poursuite d'une croissance exponentielle est insoutenable, en termes de consommation des ressources et d'impact sur l'environnement. La transition marque alors une inflexion décidée de façon délibérée et maîtrisée. Toutefois, il n'est pas certain que le monde actuel, gouverné par les mécanismes de la globalisation, sera capable d'effectuer un tel changement de façon volontaire. Pascal Chabot ne semble pas faire la différence entre les beaux discours et les réalités vécues. Si la société mondiale ne parvient pas à s'adapter aux contraintes auxquelles elle est confrontée, elle risque de passer par une rupture inéluctable. La complexité du système actuel ne fait que renforcer ce risque, car comme l'a montré l'historien Joseph Tainter, l'accroissement de la complexité réduit la résilience d'une société. Dans ce cas, la civilisation actuelle risque de s'écrouler, en raison d'une catastrophe environnementale ou d'un conflit généralisé. Il ne servira à rien alors de penser, qu'il aurait mieux valu procéder autrement, car il sera alors trop tard pour engager une transition. Toutes les transitions réclament du temps, et quand ce temps a été consommé, la transition est remplacée par une rupture.
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