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dimanche 4 août 2013

L'auto-organisation de l'économie / Spontaneous order in economy



The idea that society evolves through spontaneous order or through "autopoiesis", according to the terminology introduced by Humberto Maturana and Francesco Varela is now widespread. For the economist Frierich von Hayek, most social institutions have been built through such a "spontaneous order". He considered that it is the only process suited for a modern society.  As a consequence, in economy, the Market is the only mechanism which can enable economy to evolve in a proper way. For Hayek, all state-driven decisions are most of the time arbitrary and tyrannic. His views have provided the theoretical basis for the neoliberal doctrine. Organization through spontaneous order is indeed adaptad to everyday life and planned economy has proven to be a failure in this area. Still, spontaneous order does not imply that the evolution thus followed will reach an optimal or even a viable state. It is clearly not adapted for meeting large planetary challenges, such as global warming. A new form of economic organization combining "spontaneous order" with some planned organization at a worldwide scale remains to be invented

L’idée que la société progresse par « auto-organisation », ou selon l’expression de Humberto Maturana et Francesco Varela par « autopoïèse »[1], est maintenant largement répandue. Elle constitue le point de départ de la théorie des systèmes sociaux du sociologue allemand Niklas Luhmann[2]. Pour Niklas Luhmann, une telle capacité d’auto-organisation de la société est liée avant tout à ses facultés de communication à travers un langage. L’ordre global d’un système auto-organisé s’établit spontanément à partir des interactions entre les différents éléments, individus ou organisations, qui le constituent. Ainsi, les structures complexes du monde vivant relèvent d’un processus d’évolution auto-organisé, à travers le mécanisme de sélection naturelle décrit par Darwin. Partant de la distinction traditionnelle que les Grecs avaient établie entre l'ordre naturel (cosmos) et l'ordre artificiel (taxis), l’économiste Friedrich von Hayek a introduit l’idée d’un « ordre spontané », résultant de l'action humaine, mais qui ne serait pas, pour autant, l’aboutissement d’un dessein conscient. 
 La plupart des grandes institutions sociales : le langage, la morale, le droit, la monnaie, la science, la technologie, le marché, se seraient organisées suivant un tel ordre spontané[3]. Selon Hayek, l’évolutionnisme culturel, qui opère dans le domaine social, suit des mécanismes de sélection naturelle analogues à ceux qui ont été décrits par Darwin. Un progrès essentiel aurait été accompli en passant d’une organisation tribale, réunie par un dessein commun, à une « grande société », au sein de laquelle les individus n’ont plus d’objectifs à partager, mais peuvent contribuer au bon fonctionnement de la société, tout en en demeurant dans la sphère de leur vie privée. 
   Pour Hayek, le Marché est seul capable d’assurer le fonctionnement harmonieux d’une économie-monde de plus en plus complexe. La notion de dérégulation, visant à libérer le Marché, s’impose dès lors comme principe d’organisation de l’économie, car toute règle, dont le but est de contrôler les actions menées par les acteurs économiques, va à l’encontre de l’ordre spontané qui est recherché. S’opposant à toute idée d’organisation rationnelle de l’économie selon une démarche cartésienne, Hayek considère que l’on appréhende beaucoup mieux la complexité, en répartissant les décisions entre tous les acteurs concernés, plutôt qu’en ayant recours à un système de planification. L’ordre marchand permet aux hommes de vivre en communauté, sans partager nécessairement les mêmes buts. Cette conception s’inscrit dans le prolongement de l’idée que les « vices privés génèrent les vertus publiques », défendue par Bernard Mandeville dans « La fable des abeilles »[4], ouvrage publié en 1729. Dans cette fable, l’Angleterre était comparée à une ruche corrompue, mais prospère. C’est en donnant libre cours à leurs penchants égoïstes, que les abeilles de la ruche parviennent à générer l’activité économique, qui fait vivre l’ensemble de la ruche. Au contraire, lorsque la ruche devient vertueuse, des milliers d’abeilles perdent leur emploi et meurent. Hayek éprouve une défiance profonde à l’égard de toute action menée par l’État, perçue comme l’exercice d’une tyrannie. Alors qu’il juge arbitraires et inadaptées la plupart des décisions étatiques, la régulation par les prix lui semble, au contraire, le moyen le plus approprié pour opérer les ajustements nécessaires. Ainsi, un effet de rareté se traduit immédiatement par une montée des prix, ce qui donne aux acteurs économiques le signal nécessaire pour modifier leur conduite[5]. Ces idées ont été reprises par l’École de Chicago et notamment par Milton Friedman, qui a beaucoup contribué à diffuser cette vision, en la simplifiant encore et en accentuant son caractère réducteur.  
   Les arguments en faveur de l’initiative privée et d’une économie libérale ne manquent pas de fondement. L’exemple de l’URSS a montré les défauts d’une économie dirigiste. Les activités de la vie courante peuvent être bien mieux gérées par des interactions entre particuliers, qu’à travers l’action de l’État. Milton Friedman prenait l’exemple d’un crayon, pour montrer à quel point il serait difficile d’en planifier la fabrication, alors que les initiatives spontanées des acteurs privés y parviennent parfaitement. C’est la raison pour laquelle il n’existe guère d’alternative aujourd’hui au capitalisme comme mode de fonctionnement du système technico-économique.
   Le problème que pose l’auto-organisation de l’économie n’est pas un problème d’efficacité, mais de finalité. Une économie auto-organisée, évoluant hors de tout objectif défini, peut certes progresser spontanément vers une complexité croissante. Par contre, si elle n’est pas guidée par un système de valeurs, elle demeure aveugle vis à vis des conséquences de ce progrès. L’accroissement de la complexité peut mener la société vers un meilleur destin, mais peut également provoquer son effondrement, si elle s’avère incapable de préserver l’environnement ou de maintenir la paix.
   Un système économique auto-organisé évolue en établissant ses propres repères à partir du comportement collectif des acteurs. Le processus d’émergence de tels repères a été qualifié par Jean-Pierre Dupuy d’ « auto-transcendance » [6].
   Toutefois, même si l’ordre collectif, résultant des interactions entre des acteurs multiples, transcende le comportement d’un individu, il n’aboutit pas nécessairement à une configuration souhaitable. Le comportement collectif peut mener au contraire à des situations catastrophiques. Ainsi, un mouvement de panique, au sein d’une foule, entraîne fréquemment des réactions totalement irrationnelles. C’est ce qui se produit par exemple dans le cas d’un incendie, lorsqu’une foule cherche à sortir par une issue de secours fermée à clef, provoquant l’étouffement de ceux qui se trouvent devant la porte.
   Cet exemple montre que l’auto-transcendance résultant des comportements collectifs ne débouche pas nécessairement sur un bien pour la collectivité humaine. Il en est fréquemment de même en ce qui concerne les mouvements collectifs observés en Bourse. L’évolution d’une économie auto-organisée n’a aucune raison de répondre spontanément aux besoins de l’intérêt général, ni même à ceux de l’individu, qui se trouve enfermé dans un système dont la logique lui échappe.


[1] L’autopoïèse représente la capacité d’un système complexe de créer des structures ordonnées et de les maintenir dans le temps, à l’image des structures dissipatives étudiées par I. Prigogine. Le concept d’autopoïèse a été analysé dans la publication : F. Varela, H. Maturana, et R. Uribe, Autopoiesis: The organization of living systems, its characterization and a model”, BioSystems, Vol. 5, p. 187-196, 1974
[2] Luhmann Niklas, Soziale Systeme: Grundriss einer allgemeinen Theorie, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1984, traduit en français : Systèmes sociaux : esquisse d’une théorie générale, Inter-Sophia, 2011
[3] Friedrich von Hayek, Law, Legislation and Liberty, Vol. 1, Rules and Order, The University of Chicago Press, 1983, traduit en français : Droit, législation et liberté, PUF, Collection Quadrige, 2007
[4] Bernard Mandeville, The Fable of the Bees and Other Writings, Abridged and ed. by E.J. Hundert, Hackett Publishing Company, 1997
[5] Friedrich A. Hayek, The Use of Knowledge in Society, American Economic Review, XXXV, N°4, pp.519-530, 1945
[6] Jean-Pierre Dupuy, L’avenir de l’économie, Flammarion, 2012

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