L’économiste N. Georgescu-Roegen a été le premier à concevoir la portée très générale de la génération d’entropie et à introduire ce concept dans le champ de l’économie. Il a montré que toute activité humaine produit des changements irréversibles dans la nature, en générant de l’entropie, c'est-à-dire plus de désordre dans l’univers. La génération d’entropie est liée d’une part à la consommation d’énergie et d’autre part au rejet de déchets dans l’environnement [1]. La génération d’entropie résultant des activités humaines peut paraître irrémédiable et même incompatible avec tout développement durable à long terme. Partant de ce constat, N. Georgescu Roegen en a conclu que le seul remède possible consiste à réduire les niveaux de production et de consommation, en priorité bien sûr dans les pays les plus développés et les plus riches [2]. Il a été ainsi le précurseur des théories de la décroissance. Le concept de décroissance a ensuite inspiré tout un mouvement d’opinion qui défend une vision alternative de l’économie [3], [4]. La question se pose toutefois de savoir si l'engloutissement dans le« gouffre entropique », selon l’expression utilisée par Jeremy Rifkin [5] est inéluctable.Pour y échapper, il existe en fait trois moyens.
Une première voie consiste à réduire la consommation d’énergie et de matière premières. Une telle réduction peut être obtenue en limitant la démographie,en suivant une voie de sobriété ou même de frugalité et en optimisant l’ensemble des processus impliqués dans la vie économique. Le rapport intitulé : « La prospérité sans la croissance », rédigé en 2009 par l’économiste Tim Jackson pour le gouvernement britannique, met l’accent sur la nécessité de privilégier le plein emploi, l’intérêt général ainsi que la qualité de vie et montre que la maximisation du PIB peut ne pas coïncider avec de tels objectifs [6]. De nouveaux indicateurs de progrès ont été préconisés, tels que l’indicateur de progrès véritable (IPV), ou l’indicateur de développement humain (IDH) [7]. En France, un rapport présentant des propositions dans ce sens a été remis au président de la république par une Commission comprenant les prix Nobel Joseph E. Stiglitz et Amartsya Sen ainsi que l’économiste Jean Paul Fitoussi [8]
Accepter de faire preuve de plus de sobriété ou même d’accepter de vivre en pratiquant une certaine frugalité, n’est pas spontané. Une telle évolution peut être le résultat d’une évolution des mentalités. Ainsi, à côté des facteurs éthiques, le souhait de se maintenir en bonne santé incite à utiliser de plus en plus la marche à pied ou les déplacements en vélo. Néanmoins, pour qu’elle soit pratiquée à grande échelle, la mise en place d’instruments économiques de régulation appropriés parait indispensable. Un même volume d’activité peut être assuré en consommant moins d’énergie et de matières premières grâce à une meilleure organisation des activités et une meilleure conception des équipements et produits. Il est possible en particulier de réduire la consommation d’énergie, en allant vers un urbanisme plus compact. Une réduction de la facture énergétique moyenne et de la consommation de carburants pétroliers peut être également obtenue en développant les moyens de transport collectifs.
Une deuxième voie consiste à minimiser les irréversibilités thermodynamiques, qui génèrent de l'entropie, en optimisant les technologies utilisées. Il s'agit en particulier de minimiser les irréversibilités mécaniques en minimisant les frottements et les irréversibilités thermiques en minimisant les écarts de température lors des transferts thermiques. Ceci revient à réduire la production d’entropie, grâce à une meilleure compréhension des processus mis en jeu, en faisant appel à plus d’informations et d’intelligence.
Enfin, disposer d'énergie permet de réduire le niveau d'entropie, en exportant de la chaleur vers l'espace environnant, ce qu'il faut pouvoir faire sans dommage pour la biosphère. En disposant de sources d’énergie durables, il devient possible, au moins en principe, de préserver l’ensemble des ressources (dont eau et matières premières), par recyclage et intégration.
A condition de prendre les mesures adéquates, il demeure ainsi possible d’assurer un avenir durable et d’échapper au « gouffre entropique » [9].
[1] Nicholas Georgescu-Roegen, « The entropy law and the economic process », Harvard University Press », 1971
[2] Nicholas Georgescu-Roegen, « La décroissance- Entropie, écologie, économie », 1979, Les Editions Sang de la terre, 2ème édition, 1995
[3] Serge Latouche, « Petit traité de décroissance heureuse », Mille et une nuits, 2009
[4] Vincent Cheynet, « Le choc de la décroissance », L’histoire immédiate, Seuil, 2008
[5] Jeremy Rifkin, « The empathic civilization – The race to global consciousness in a world in crisis », Tarcher / Penguin, 2009
[6] Tim Jackson, « Prosperity without Growth: Economics for a Finite Planer », Eathscan, 2009
[7] Ambuj D.Sagar, Adil Najam, “The human development index: a critical review”, Ecological Economics, vol.25, Issue 3, p.249-264, June 1998
[8] Joseph E. Stiglitz, Amartsya Sen, Jean-Paul Fitoussi, “Report by the commission on the measurement of economic performance and social progress”, 2009[9] Alexandre Rojey, « L’avenir en question – Changer pour survivre », Armand Colin, 2011
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